Violinne

Ebook - Les meilleurs poèmes - Afrique:


Abad Boumsong

Maman

(Premier Prix, Prix du site Violinne.com et Grand Prix du Cercle Littéraire)

Maman ils ont tout pris je leur ai tout donné
Il ne reste plus rien, j’ai tout abandonné
J’ai donné tout mon sang, j’ai donné tous mes rêves
En leur criant buvez, « l’Art est grand, il élève ! »

Maman j’ai essayé de leur offrir mes plumes
Mais peu d’entre eux voyaient, ils étaient dans la brume
Ils ne comprenaient pas que je cherchais leurs âmes
Pour montrer leur beauté et les tirer des flammes.

Je voulais m’envoler mais je n’avais plus d’ailes
Et quand je les trouvai, on avait pris le ciel
Puis je voulus chanter, mais le monde était sourd,
Changé en tribunal qui condamnait l’amour.
J’ai donc livré mes mots en pâtures à leurs yeux
Car chacun d’eux criait très fort : « Cessez le feu ! »
Mais les gens ne pouvaient pas lire dans le noir
En enfermant l’amour, ils avaient pris l’espoir.

Maman j’ai essayé de leur donner mon livre
Afin que chaque vers les sauve et les délivre
Parce que dans les vers, il y a l’Univers
Maman je suis perdu, l’homme lit à l’envers.

Maman dis-moi quoi faire, il y a trop de nuit
Le bateau est sous l’eau, les gens crient ou s’enfuient
L’enfant ne rêve plus, la femme est lapidée
Et on jette au bûcher, l’artiste avec l’idée.

Maman dis-moi quoi faire, il n’y a plus de son
Car la mer devient folle, elle noie ses poissons
Le vent ne chante plus, il fait des fausses notes
Puisque notre fumée, lui a mis des menottes.

Maman que dois-je dire, à mes frères qui souffrent
Leurs poumons sont remplis de pétrole et de soufre
Certains mangent l’acier et boivent des couteaux
Parce que dans leur terre, il y a des métaux.

Maman comment crier aux gens qu’ils sont la vie
Qu’ils sont le monde entier, son souffle et sa magie
Qu’ils sont plus importants que n’importe quel nombre
Comment crier aux gens qu’ils sont plus que de l’ombre?

Maman, ils n’ont qu’un vœu, ils veulent de l’espoir
Ils cherchent la lumière aux bornes du couloir
Ils veulent un peu d’air au-dessus de leur chair
Un peu d’imaginaire au sein de l’ordinaire.

Ils veulent savoir que tout ceci a un sens
Qu’il y a autre chose au-delà de l’absence
Que tous les rêves vont aux cieux où tu te perches
Maman regarde les ! Maman, c’est toi qu’ils cherchent !

Le requiem de l'ombre

(Prix de l’ACLJ Canada)

La porte se ferme et tous les couloirs se vident
Les voix s’éloignent, je les entends, loin… là bas
Pourquoi j’ai mal, pourquoi la douleur est humide
Oh, ce sont des larmes… je ne les voulais pas.

Il n’y a plus de bruit, non… je n’entends plus rien
Quelque chose remue, ce n’est que moi qui pleure
Je voudrais tant être entouré de tous les miens
Est-ce là mon tombeau ? Qui a mis tant de fleurs ?

Il faut que je sorte, le soleil est dehors
Je suis le prisonnier et je suis les barreaux
Mes tourments décorent les murs de gouttes d’or
Le venin dans mon cœur… Faites-lui un garrot.

Je suis l’outre tombe qui regarde son ombre
Avec l’impression d’être près d’un inconnu ;
Je ne sais plus ma voix, je ne sais plus mon nombre
Lettre sans alphabet où la souffrance est nue.

Pourtant je veux m’enfuir loin des tâches de sang
Et des corbeaux qui rient sur les arbres malades ;
Je suis l’enfant qu’on oublie et que les passants
Refusent de regarder quand ils se baladent.

Je vais sortir un jour, pour manger la lumière
J’ai tant bu l’ombre que j’ai fais une overdose
Que reste-t-il de nous quand on perd nos prières
Nous absorbons le poison à petite dose.

La solitude est un interminable février
Où la neige bâtit des temples à nos maux
Qu’est ce qui fait si mal ? Qu’est ce qui fait crier ?
Nous sommes le livre dissimulant ses mots.

Nous sommes les autochtones de nos enfers
Dont les routes vont aux confins de nos villages
Et au terme de ces voyages qu’on doit faire
C’est toujours le même masque : notre visage.

Nous laissons nos chemins moisir comme des livres
Oubliés au grenier pour cacher nos blessures
Ce qui fait mourir s'accroche à ce qui fait vivre
Puisque tout est mordu par la même morsure

Et nous nous accrochons aux bouteilles en mer
Qui servent de voiles pour nos esquifs perdus
Enfin nous accouchons sans en être la mère
D’un chant résonnant comme le cri d’un pendu.

L’espoir est un sorcier qui solde ses breuvages
Contre nos vies qu’il enferme dans des flacons ;
C’est un négrier qui met l’homme en esclavage
Et sans le savoir nous devenons ses maçons.

Il nous pousse à bâtir des rêves sur ses sables
Parce que nous croyons sa terre impérissable
L’espoir est un commerçant qui fait son marché
En vendant aux hommes des jambes pour marcher.

J’accuse

(Prix de l’ACLJ- Jeunesse)

J’accuse le temps de n’avoir pas de conscience
D’agiter ses ailes sur les rives de la science.
J’accuse l’éternité de folie, je blâme
Cette démente d’être le mouroir des âmes.

J’accuse l’ombre de n’avoir pas de lumière
D’être ce tombeau où vient mourir la prière.
J’accuse l’espace d’être le lit du gouffre
Cette éternité où l’étoile dit : « Je souffre »

J’accuse les rêves d’avoir pour reflet le songe,
D’être le puits cachant cette impie : le mensonge.
J’accuse la matière de se nourrir des sens
J’accuse le ciel d’abriter cet abîme : l’absence.

Je nous accuse tous de rester dans nos demeures
Alors que la nuit pourfend, et que l’espoir meurt ;
Je nous accuse de nous abriter sous le silence
Tandis que montent la rumeur et la pestilence.

J’accuse l’homme d’être frappé de névrose.
J’accuse le vers d’avoir lapidé la prose.
J’accuse les mots de se cacher dans les livres.
J’accuse la vie d’être dure comme du cuivre.

J’accuse les cieux d’orgueil, d’être trop hauts
Pour ne pas entendre le vacarme et le chaos.
J’accuse les dieux de nous avoir tous maudits
En nous exilant sur la terre, ce taudis.

J’accuse le jour. J’accuse la nuit.
J’accuse le murmure. J’accuse le bruit.
J’accuse ce qui est, j’accuse ce qui n’est pas.
Je m’insurge contre ce qui est en haut et en bas.

J’accuse parce que l’univers est un cri
Si puissant que l’on aurait dit qu’un être prie.
J’accuse parce que le fardeau est trop lourd
Pour l’homme, seul un dieu peut le porter : L’Amour !



Mebkhout Beghdad

Le chant des touaregs

(Deuxième Prix)

Abreuvés à la coupe vermeille du soleil,
Nos visages ont pris les teintes de l'ombre,
Nos gestes sont des paraboles en éveil,
Qui ornent nos chants légers ou sombres.

Nos horizons ouverts où l'oeil se perd,
Nous enivrent de l'envie d'aller ailleurs;
Nomades au hasard des chemins divers,
Et fiers chameliers au gré de notre ferveur

Touaregs bleus sous le ciel de nos prières,
Le désert est océan où se pèchent nos amours.
L'oasis est faite de nos rêves de rivière,
L'ame s'y allège des lourdeurs des jours.

Nos danses sont combat au rythme de nos airs,
la vaillance se négocie à l’étouffement de nos peurs.
Les caravanes sont héritage de nos pères,
Les étoiles sont guides dans leurs lueurs.

Nos gazelles nous connaissent ,l'une farouche,
L'autre éprise de nos bras et nos coeurs;
Elle est le pilier de nos tentes et la souche,
De nos racines et nos branches en fleurs

Gardienne de l’âtre et de la parole ancienne,
Mère de nos us et nos plus dans nos errances,
Elle coud nos âmes à la déchirure de leurs veines,
Et étanche notre soif au bout de nos absences .

Nous poursuivons l'onde du ciel,
Dans une chasse où elle fleurit en herbe,
Sur nos dromadaires avides du miel,
De la tendre pousse et nos chants du verbe

Touaregs hommes bleus de nulle part,
Nous habitons nos êtres et nos dires,
Dans une liberté du temps et des lieux épars,
Nous sommes là au hasard de nos désirs.



Tonia Traikova

La momie noire

(Deuxième Prix)

Dans le désert aride,
Sous le soleil ardent,
Là, où on se laisse envahir
Par la peur devant l’éternité
Et on se perd pour écouter
La musique du silence,
Gît un petit corps d’os couverts de peau.
Une mouche sur la tête,
La bouche ouverte,
Pas loin, un vautour qui guette…
Là où s’égrène le sablier du temps
Et se forment des dunes
D’une beauté infinie,
Sous le soleil ardent
Et au sud de la mort
Gît un enfant-
Le corps d’os couverts de peau,
Que la famine a momifié vivant...
Le chant du vent,
La larme de l’Afrique noire,
La honte du monde…
Juste un enfant.



Fatma Chikhawi

L'esprit des poètes

(Troisième Prix)

À la solennité de la nuit,
Un rêve me ravit ;
Venu d’un monde bien loin d'ici
Où se soulagent mes peines au fond de mon lit.
J’ai entendu les chuchotements de la pluie
Me parler de la raison qui ment
De l’enfance qui ironise
Et de la maturité qui s’ennuie.
Ô monde blafard !
Où les anges et les diables se sont réunis !
Mon désir éternel et universel
M’encourage à jeter tes principes bien loin !
La nature pleure de tes regards si moqueurs.
Toi mon grand bleu, tu rendais le ciel jaloux de ta vive couleur ;
Les diables honoraient ta beauté sans mensonge et sans anxiété;
Tes vagues m’inspirent pour jeter les mentalités coincées dans cet empire ;
Pour les offrir
À la hotte de l’oubli.
Emporte-moi, mer !
Que tes prières me sauvent
Avant que les âmes sombres m’encombrent,
Avant que l’éternité cruelle
Batte son infernal rappel
Loin de leur paradis artificiel.
Ainsi, je voudrais une terre
Pour les esprits bariolés
Pour les esprits affolés
Pour les esprits des poètes.



Fayçal Bouzayen Chemmami

Une terre outrage

(Prix du groupe)

Un diamant envoie un rayon sans fil
Le long d’une ère immobile chez les civiles
Et le soleil se fait suer sur la peau de l’espoir
Mémoire blanche sur une terre noire

Les rares oiseaux migrateurs
Sentent, l’ampleur de la douleur
Le Sahara miroite les trois couleurs
D’un continent, black, blanc, beur

Ici rien ne pousse, rien ne vit
Pas d’arbre, pas d’ombre, pas d’infini
La neige est brulante loin de Paris
Entre nord et sud se remuent vies et envies

Une terre qui grelotte de froid
Quand le soleil la montre du doigt
Clartés furtives écument la vue
L’Afrique transpire ce qu’elle a perdu

L’autre continent a jeté un souffle amer
La paix a roulé sa bosse, la terre a souffert
Et l’encre noire a inventé ses vers de sage
Aujourd’hui nos arbres ont oublié l’orage

Terre où se régénère, le serpent, la vipère et l’exuvie
Entre deux rives notre souffle trace et inscrit
L’âme peule, la lutte zouloue, et l’esprit dogon
La prouesse de Carthage et l’influence des pharaons

Le pharaon siège sous sa pyramide étroite
L’esprit éveillé soutenant la tête de Tanit droite
Lançant les doigts d’une derbouka fragile
Aux rythmes d’un tam-tam, caresses reptiles

La musique s’inscrit dans cet entre deux
En dansant, mon talon frappe le sable de feux
Mes pieds se rident, le sang gonfle puis jaillit
Et à la terre aride, la culture se donne vie

Sur nos rives jaunes et vertes la tristesse est sans âge
Avec les mains, les pieds, notre fierté a poussé l’outrage
Je ris, je pleure je danse avec l’ange de l’indifférence
Je crie, à l’humanité, « oui, l’Afrique a une conscience »



Patricia Giorgi alias Geb Nout

Au seuil de te quitter l'Afrique

(Prix du site Violinne.com)

Au seuil de te quitter l’Afrique
J’ai mis ton manteau de musique l’amie
Et d’une gracieuse portée
LA, MI, que de notes enlevées !

Pour te chanter si dense
Le soupir de deux noirs, une blanche.

Un rythme, trois harmonies
Deux hanches de colonies.



Abad Boumsong

La chute


Mes narines ont bu des quantités de gouffre
Qui retiennent mon corps, prisonnier de l’oubli
De ces gens qui s'en vont ; Savent-ils que je souffre
Car pour le monde entier, je ne suis qu’un débris.

Dans ma tête des bruits, des klaxons, des fantômes
Dessinant la frontière entre moi et la mort
Entre moi et les cieux, démon parmi les hommes,
Aux yeux plus tranchants que les dents d'un chien qui mord.

J'écoute mes voisins quand ils parlent de moi
Ils disent « Il est fou , sa vie est un désastre
Il n'a plusde boulot, bientôt plus aucun toit
On ne peutrien pour lui, laissons faire les astres. »

Ils disent tous cela et même ma famille
Oh dieu quelle famille ? Elle a du abdiquer
Pendant que je tombais, quand je faisais des vrilles
Tous ceux que j'ai aimés sont partis, paniqués .

La chute...je tombe... je tombe...
Une main
Un humain
La chute...je tombe...En trombes

Je voudrais une main, je voudrais un sourire
Mais ici bas pour moi, il n’y a rien du tout
Hormis la longue chute où je pourrais mourir
Puis-qu’ici je suffoque, et qu'ici je suis fou.

Dans mon appartement, les tableaux me regardent
En dansant sur les murs où se joue un théâtre
Aux personnages saouls, comme l'arrière-garde
D'un bar d'anges déchus que le ciel veut abattre.

Je n'entends plus le son de mon téléviseur
Il tournoie...Il tournoie et parfois il me noie
Mais moi je ne sais plus, ça fait bientôt dix heures
Que mon corps est à jeun, ce corps n'est plus à moi.

La chute...je tombe... je tombe...
Une main
Un humain
La chute...je tombe...En trombes

Oui mon corps appartient à ce cambrioleur
Qui prend tous les objets et même la maison
Mon identité meurt dans les mains du voleur
Laissant derrière lui un monde sans raison.

A l’intérieur de moi, les planètes ricochent
En cherchant le soleil, et bégayant des flammes
Par des lunes brûlées sous les vapeurs des roches
Où un miroir me montre un captif : C'est mon âme !

Éteignez la lumière, elle fait mal aux yeux
Elle brûle ma peau qui pourrait se dissoudre ;
Au contact de l'espoir, j'ai froid...J'ai froid..Adieu
Mes narines ont bu des quantité de poudre.

La chute...je tombe... je tombe...
Une main
Un humain
La chute...je tombe...En trombes



Abad Boumsong

Confessions du néant


J’ai longtemps plongé ma plume dans l’amertume
Ingérant des douleurs glacées une par une
Longtemps j’ai versé mes larmes dans le bitume
Identique à un cri qui s’élève des dunes.

Assis sur le pic sanglant, au bord du néant
Teinté d’émétiques flagrances de l’enfer
J’ai enfoncé mon âme au cœur de l’océan
Enchaîné aux sanglots, écroué par le fer !

Je me suis abreuvé du plasma des éclipses
Me nourrissant des dépouilles d’univers morts.
Recouvert de magma, fragment d’apocalypse
J’ai invoqué tous les bruits au sein du remords.

J’ai réveillé la nuit au sein même des tombes
En m’habillant des larmes de tous les défunts ;
Je suis devenu la clameur des catacombes
La fleur corrompue qui a perdu son parfum.

J’ai été le psaume mutilé, la rumeur
Insane venue des fosses, le clandestin
Errant au bord du Nautilus et la tumeur
Évadée de l’abîme, exilée du destin.

Je suis devenue une terre disloquée
Écartelée entre sa douleur et son cri ;
Mon regard était un mouroir, interloqué
J’étais le mécréant par les limbes proscrit.

Voix maudite, martyr voué à la potence
J’ai bâti des mondes, des miroirs de Maelström,
Épuisant tous les effluves nés du silence,
Broyés aux hauteurs aiguës du capharnaüm.

Je suis le suc de toutes ces guerres démentes
Orphelins suspendus à l’aile des goémons ;
Habillé de soufre que la glaire alimente,
Je suis le chiffre insensé lu par mes démons.

Érigeant un gibet aux murs de mon foyer
J’ai porté les haillons des esprits en lambeaux
La douleur était une mer où me noyer
Avec mon cœur me criant " Je suis ton tombeau"

J’entends parfois les suppliques de ce vacarme
Qui emmure mes jours en blessures de l’ombre ;
Je me perds souvent sur ce périple de larmes
Damné par ma nuit et sa péninsule sombre.

Je suis toujours au cœur du défilé obscur
Avec en fond sonore un cri semblable au mien,
Une clameur profonde comme une piqûre,
Avec des gueules où dansent des crocs de chien.

Parfois je tente de converser à l’abîme
Dans un long dialogue de néant à néant ;
Mais l’enfer n’a aucun regard pour ses victimes
Qu’il abandonne au jour chétif et bégayant.

Il n’y a pas de voie pour les gens comme moi
A qui les dieux ont refusé l’absolution
Que l’on me pardonne, car je porte ma croix
Aux pieds sanguinolents de ma dissolution.



Abad Boumsong

Magma


Je suis désolé si je ne fais pas de slam
Mais une poésie très loin du macadam
J'adore alexandrin, demande à Baudelaire
J'ai des fleurs qui font mal, aux vieux corbeaux dans l'air.

J'ai dans mon hémistiche un dormeur dans le val
Je crois qu'il est damné, un peu comme Nerval
Dans mes contemplations j'ai vu l'ombre d'Hugo
C'est lui qui m'a dit que " tous les mots sont égaux"

J'ai dû manger l'enfer avec mon ami Dante
Accompagné du verbe et de sa plume ardente
J'ai dû boire ma peine avec ce bon Verlaine
Dans un verre qui saigne un poème au verveine

On m'a dit que Prévert avait un vers pervers
Que l'on chante à l'envers au milieu d' un pré vert
Mes mots doivent chasser le crapaud du lagon
Je veux être un dragon aux cotés d'Aragon.

Appelez les renforts , je vais braquer les cieux
Je suis le seul gangster qui ai racketté Dieu
Je suis allé chez lui pour voler un peu d'herbe
Mais en y revenant j'avais plutôt le verbe



Abad Boumsong

L’enfant maladroit


C’était un jeune enfant, quel âge avait-il ?
Qu’importe, il avait celui des jeux futiles
Celui où le rire a un peu d’éternité
Les enfants ont en eux, un peu de vérité.

Ce petit être jouait, sur le sable fin et jaune
Il bâtissait des mondes, issus de ses rêves
Sur ces globes fragiles poussait une faune
Immense, un univers naissait sur la grève.

Parfois il laissait l’eau faire fondre sa création
Tout s’écroulait comme dans une aberration
Et lui il restait là, un sourire étrange aux lèvres
Immobile, comme saisi par une puissante fièvre.

Ses mains maladroites ne savaient pas faire
Ce que voulait son esprit bien trop alerte
Ainsi son œuvre avait des relents de l’enfer,
Il était le seul maître sur cette plage déserte.

Bâtisseur fou, il balayait d’une seule main
Ce qu’il avait créé en jouant, sans remords
S’il le voulait il pouvait recommencer demain
La poussière ne peut pas ressentir la mort.

Il était heureux de savoir que d’un seul geste
Il pouvait tout effacer, semblable à la peste.
Ce diablotin s’amusait à créer, à détruire
Fier de pouvoir augmenter et de réduire.

Pourtant cet enfant ignorait que ces grains de sable
Jetés ci et là avaient une âme, engendrés par un fou;
Ils étaient les fils d’un nourrisson irresponsable.
Hélas cet enfant c’était Dieu et le sable : C’est Nous !



Abad Boumsong

Ceux qui errent


Les rues de la perdition ont des lampadaires
Qui éclairent le chemin menant vers le gouffre ;
Ces gargotes mal famées où l’on manque d’air
Apportent l’oubli aux âmes perdues qui souffrent.

J’ai longtemps erré sur ces trottoirs faméliques
Reniant le jour qui faisait briller ma douleur
Au-dessus de moi comme un grand obélisque
J’étais l’enfant sans joie, le drapeau sans couleur.

Je n’appartenais à rien sinon à la nuit
Qui me happait alors que le jour semblait loin ;
Et tout ceci se passait en moi, sans un bruit
Je mourrais à petit feu sans un seul témoin ;

Je voulais crier mais ma gorge était muette
J’étais une guitare aux cordes fracassées
Un piano mort jeté dans une oubliette
Un verre qui tombe de la table. Cassé !

Je n’avais plus de nom, je n’avais plus de vue
Et pour moi toutes les rues étaient un tombeau
Immense où la vie déchaînait un son confus
Laissant des marques comme celles d’un couteau.

J’entendais des volcans qui grondaient dans mon âme
Avec tous les enfers surgissant du cratère ;
J’étais sur l’autoroute, noyé par mon drame
Et le monde me criait « Tu es seul sur terre »

J’allais de rues en rues, de chemins en chemins
Et chacun d’eux semblait mener vers nulle part
Personne ne voulait me tenir par la main
Mes jours avaient plus de tâches qu’un léopard.

On m’appelait Facman, Piranitas, Katmi
Et je partageais mon repas avec les rats !
J’étais l’enfant sans foyer, l’enfant sans amis
Autre que les chiens errants et le choléra.

Je fouillais les poubelles pour manger un peu
Parfois même les vers trouvent la lumière
Je dormais dans la pluie, ces sagaies que les cieux
Lancent pour ceux dont ils oublient les prières.

Parfois on a l’impression que les anges fuient
Certaines rivières où nos âmes se baignent
Parfois nous croyons qu’il n’y a que la nuit
Qui saigne avec nous quand nos lumières s’éteignent.

Parfois la vie est un son où la note est fausse
Un accord mal placé par un mauvais musicien
Parfois notre vie est comme dans une fosse
Son odeur nous repousse tant, qu’on n’y voit rien !

Enfant de la rue, enfant de nos bidonvilles
Va droit devant toi, les tours ne sont pas si hautes
Enfant des ghettos où l’espoir est en civil
Reprends au destin ce que ton origine ôte.

Sais-tu mon frère que rien n’est écrit d’avance ?
Les étoiles brillent aussi dans les égouts ;
Elles y brillent même plus fort car la chance
S’est enfuie de ces lieux, chassée par le dégoût.

Ce que l’on devient n’est pas écrit où l’on naît
Et nos pas peuvent nous mener à tous les ports ;
Ami le mot que tu dois bannir est : Jamais !
Celui qui souffre sans mourir en sort plus fort.

***
Facman: enfant de la rue au Sénégal
Katmi: enfant de la rue à Madagascar
Piranitas: enfant de la rue au Pérou et en Bolivie

Abad Boumsong

Mon cri


Tu veux me lire, prends un litre de douleur
Remue-le dans ton cœur mais fais-le doucement ;
Tu auras mal, tu pousseras des gloussements
Mais le noir donne à ma plume une autre couleur.

Les ailes sombres aspirent aussi aux cieux
Et quelque part là-haut, elles ont leur étoile
La souffrance c’est l’autre versant de la toile
Je suis celui qui va voler la nuit de Dieu.

Parfois ton crépuscule sera ma lumière
Je bâtirais des mondes avec tes débris
Parce que mon être sera plein de ton cri
L’ignorais-tu ? L’univers est une prière.

Tout ce que j’entends a l’écho d’une souffrance
Une soif non bue, une faim au bord des routes
Avec ses fantômes, des ombres qui s’ajoutent
A mon néant. Je suis loin de la délivrance.

Je suis loin de l’aube qui ne me cherche pas
A genoux sous des canons qui crachent le vide.
Lorsque tu liras mes vers recouverts d’acide
Sache que la douleur sera à quelque pas.

Elle sera à tes côtés comme une sœur
Prête à sécher tes larmes avec du tissu ;
Et tu pourras voir l’ombre dont je suis issu
Je suis né là-bas avec la nuit dans mon cœur.

Cette amie était avec moi quand j’étais seul
Elle était là lorsque tout brûlait dans mon âme
Elle était le feu pour mieux éteindre les flammes
M’apportant des fleurs pour mieux fermer le linceul.

J’ai été avec elle sur toutes les terres
Portant toujours le même enfer au fond de moi
Certains êtres ont quelque chose qui aboie
Au bord de leur gouffre et refuse de se taire

Oh ! Ami, je ne suis rien d’autre que ce cri
Traversant les pages comme un astre sans ciel
Dans chacun de mes mots, j’y ai mis l’essentiel
Si cela t’effraie, arrête de lire et… Prie !

Retour au livre e-book et audio "Afrique" - ici.



footer

Copyright © 2025 Violinne · All rights reserved. Cookies help us deliver our services. By using our services, you agree to our use of cookies.